“Et, puisque, porté sur une vaste mer, j’ai livré aux vents toutes mes voiles, je dirai : Rien n’est stable dans l’univers : tout varie, tout n’offre qu’une image passagère. Le temps lui-même roule comme un fleuve dans sa course éternelle. Le fleuve rapide et l’heure légère ne peuvent l’arrêter. Mais, comme le flot presse le flot, chassant celui qui le précède, et chassé par celui qui le suit, ainsi les moments s’écoulent, se succèdent, et sont toujours nouveaux. L’instant qui vient de commencer, n’est plus; celui qui n’était pas encore arrive : tous passent, et se renouvellent sans cesse ».
Ovide, Métamorphoses, XV
L’horloge
Charles Baudelaire
Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit : » Souviens-toi !
Les vibrantes Douleurs dans ton coeur plein d’effroi
Se planteront bientôt comme dans une cible,
Le plaisir vaporeux fuira vers l’horizon
Ainsi qu’une sylphide au fond de la coulisse ;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
A chaque homme accordé pour toute sa saison.
Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote : Souviens-toi ! – Rapide, avec sa voix
D’insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois,
Et j’ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !
Remember ! Souviens-toi, prodigue ! Esto memor !
(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)
Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu’il ne faut pas lâcher sans en extraire l’or !
Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c’est la loi.
Le jour décroît ; la nuit augmente, souviens-toi !
Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide.
Tantôt sonnera l’heure où le divin Hasard,
Où l’auguste Vertu, ton épouse encor vierge,
Où le repentir même (oh ! la dernière auberge !),
Où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! »
Baudelaire, Les fleurs du mal